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Comment utiliser la théorie socio-cognitive pour le mentorat?

Les outils pratiques de la théorie socio-cognitive (TSC) permettent aux mentors d’augmenter le sentiment d’efficacité personnelle chez leurs bénéficiaires

Dans un article précédent, nous avons présenté la théorie socio-cognitive (TSC) et son intérêt pour accompagner le changement. Nous avons vu également dans un autre billet comment elle pouvait, en particulier, aider à surmonter la peur de parler en public.

A présent, nous nous intéresserons à la manière de l’employer concrètement, dans le cadre des actions de mentorat. Dans ce premier article, nous donnons les clés pratiques pour utiliser la TSC.

LES QUATRE SOURCES DU SENTIMENT d’efficacité PERSONNELLE

Pour rappel, le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) est la pierre angulaire de la TSC : l’augmenter va produire des effets sur l’adoption d’un nouveau comportement et le changement qui en résulte.

Or, Bandura, le créateur de la TSC, affirme que le SEP provient de quatre sources : avoir accompli le comportement souhaité par le passé (expérience de maîtrise), modeler son comportement en observant d’autres personnes réussir une tâche (expérience vicariante), être persuadé que l’on peut accomplir une action (persuasion), et réduire les états affectifs et physiologiques qui gênent le nouveau comportement (gestion des états affectifs et physiologiques).

LES EXPÉRIENCES DE MAITRISE

L’approche la plus directe pour créer une expérience de maîtrise est de pratiquer le nouveau comportement. Par exemple, la posture lors d’un entretien d’embauche ou la prononciation d’un discours, après s’être formé aux compétences nécessaires pour réussir.

De fait, les croyances des individus et leurs actions se renforcent mutuellement. La réussite nourrit la conviction d’être efficace qui va favoriser la réussite ultérieure. Une spirale ascendante s’établit donc entre expérience de maîtrise et efficacité personnelle.

Le tableau suivant résume les techniques qui nourrissent les expériences de maîtrise.

Techniques Exemples
Pratiquer le comportement-cible avec succès Acquérir des compétences, par exemple la formation à l’entretien d’embauche

S’exposer aux situations menaçantes

Expérimenter graduellement Se fixer des cibles intermédiaires de difficulté croissante en vue d’atteindre le comportement visé, par exemple hiérarchiser des situations anxiogènes ou bien augmenter la dose d’exercice physique chaque semaine
Pratiquer l’imagerie mentale Imaginer le succès ou les progrès, simuler le comportement mentalement, visualiser la tâche, par exemple l’exposition volontaire dans le traitement des phobies, ou bien la résistance aux tentations de fumer
Se préparer aux revers Anticiper les conséquences : par exemple violer une abstinence

Attribuer les revers à des causes externes et les réussites à des causes internes (le travail, le mérite)

Auto-surveiller le comportement et ses résultats Suivre le comportement ainsi que les progrès vers l’objectif, par exemple en tenant un journal de l’alimentation ou de la perte de poids
S’appuyer sur des réussites passées Raconter des situations de maîtrise, par exemple des récits autobiographiques de réalisations probantes, pour transférer des stratégies efficaces à de nouveaux comportements.
Adopter un état d’esprit tourné vers l’apprentissage Donner la priorité au développement de nouvelles compétences plutôt qu’à l’évitement ou à la réussite
LES EXPERIENCES VICARIANTES

Observer une personne (“modèle”) effectuer une tâche que l’on désire effectuer et la voir réussir est une expérience vicariante. Celle-ci permet d’instiller la croyance que l’on peut soi-même y arriver. En plus, elle renseigne sur les stratégies et les compétences utiles pour surmonter certains obstacles. On peut d’ailleurs s’observer soi-même (“auto-modélisation”). Plus le modèle surmonte de difficultés et plus il ressemble à l’observateur, plus l’expérience sera utile à l’observateur.

Le tableau suivant résume les techniques pour susciter les expériences vicariantes.

Techniques Exemples
Observer des modèles (réels ou symboliques) Observer des personnes aux caractéristiques proches des siennes effectuer le comportement avec succès : par ex. des modèles réels dans des groupes de soutien, ou des modèles symboliques dans des récits inspirants
S’auto-modeler Produire des témoignages (par ex. en video) de l’exécution réussie par soi-même du comportement, par exemple l’enregistrement vidéo d’une séance d’entraînement à la formation à l’entretien d’embauche
LA PERSUASION VERBALE

La persuasion nous donne l’assurance que d’autres personnes croient en notre capacité à réussir. Elle fournit aussi une validation de nos progrès sur le chemin du changement. De même, l’auto-persuasion s’avère efficace, notamment dans la recherche d’emploi, en recourant par exemple à des mantras.

Cependant la persuasion verbale reste une source d’auto-efficacité moins fiable que les deux précédentes. Elle peut même s’avérer contre-productive. En effet, si un souvenir d’échec a sapé notre capacité à réussir, la persuasion pourrait déclencher au contraire de la résistance.

Le tableau suivant résume les techniques de persuasion verbale :

Techniques Exemples
Recevoir des encouragements de la part de personnes crédibles Véhiculer la croyance que la réussite du comportement est très probable
Exprimer un discours intérieur à caractère pédagogique ou motivationnel Réciter un discours intérieur motivationnel

S’auto-guider verbalement, par exemple en se répétant les étapes du comportement

Identifier les pensées dysfonctionnelles et les transformer en alternatives positives

 

LA gestion des États affectifs et physiologiques

Commencer une tâche difficile, surtout si elle est nouvelle, déclenche de l’appréhension chez la plupart d’entre nous. Elle s’accompagne généralement de symptômes physiologiques ou affectifs (par exemple, une augmentation du rythme cardiaque, de la transpiration). Si nous interprétons la cause de ces signes comme un manque de préparation, ou comme la prédiction d’un échec, ceux-ci peuvent diminuer notre sentiment d’efficacité personnelle et altérer nos performances ultérieures.

Pour Bandura, les expériences de maîtrise, présentées plus haut, en améliorant les compétences d’adaptation, font percevoir l’avenir comme moins menaçant. Ainsi, les pensées anxieuses qui peuvent tout de même survenir, ne submergeront pas l’individu.

Le tableau suivant résume les autres techniques de gestion des états affectifs et physiologiques :

Techniques Exemples
Pratiquer la psycho-éducation Expliquer comment les processus mentaux influent sur les fonctions biologiques: par exemple, les conséquences somatiques et affectives de dramatiser des symptômes corporels anxiogènes, apprendre à interpréter la nervosité comme le signe de que le corps est prêt, corriger les interprétations erronées de symptômes corporels ressentis comme des menaces
Utiliser le biofeedback Démontrer l’association corps-esprit
Identifier et acquérir des capacités d’adaptation (Se) Former à des stratégies d’adaptation, de relaxation ou de gestion du stress afin d’accroître la préparation et de contrôler les états physiologiques et affectifs néfastes avant et pendant l’exécution du comportement
Tester les capacités d’adaptation Collecter des informations permettant de corriger les symptômes physiologiques et affectifs en réalisant des expériences comportementales, par exemple, la maîtrise de la situation redoutée avec le thérapeute lors d’une séance d’exposition systématique
POUR ALLER PLUS LOIN

En conclusion, la TSC permet d’améliorer le SEP du bénéficiaire d’une action de mentorat en agissant sur les 4 sources à l’origine de ce sentiment.

Dans un prochain article, nous présenterons la manière d’employer ces outils face à des situations réelles de mentorat. Nous nous appuierons pour cela sur des exemples tirés de l’insertion professionnelle et de la prise de parole en public.

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Insertion professionnelle Psychologie

L’entretien motivationnel pour accompagner les chômeurs : quelle efficacité ?

 Des études récentes montrent l’utilité de l’entretien motivationnel dans l’insertion professionnelle (IP)

Aurore est conseillère dans une mission locale du Val de Marne. Elle accompagne des jeunes de 18 à 25 ans pour qu’ils trouvent un emploi ou une formation. Afin de susciter l’envie chez ces jeunes gens, elle s’est formée à l’entretien motivationnel. Elle a l’impression que cette approche donne de bons résultats. Néanmoins, elle se demande ce que dit la science sur l’efficacité de l’entretien motivationnel (EM) en insertion professionnelle (IP).

Des résultats mitigés jusqu’à très récemment

Il y a quelques années, deux chercheurs norvégiens, Flodgren et Berg, ont réalisé une méta-analyse de cinq essais aléatoires contrôlés utilisant l’EM pour la réinsertion professionnelle.

L’impact en était globalement positif. Mais ces études étaient entachées de biais, comme des échantillons de faible taille. En outre, elles visaient des populations très particulières (souffrant de troubles mentaux ou de douleurs chroniques) rendant difficile l’extrapolation à la population générale.

Des résultats encourageants depuis lors

De nouveaux essais aléatoires publiés depuis lors ont montré des résultats plus encourageants.

Tout d’abord, la psychologue Eileen Britt et son équipe ont observé qu’après avoir formé à l’EM des conseillers à l’emploi, leur empathie augmentait sensiblement. Simultanément, leurs bénéficiaires exprimaient davantage le désir de mener des actions concrètes de recherche. C’est ce qu’on appelle, dans le jargon EM, le discours-changement.

De son côté, Wewiorski a montré que le discours changement prédisait le passage à l’action des bénéficiaires pour retrouver un emploi. Ces deux études combinées démontraient ainsi un résultat connu de l’EM. C’est l’incitation à générer du discours changement, par les techniques de l’EM, qui conduit les clients à agir.

Dans une dernière étude menée au Canada, Britt semble apporter enfin une preuve irréfutable de l’efficacité de l’EM en IP. Dans cet essai aléatoire portant sur un large échantillon de demandeurs d’emploi, les participant du groupe expérimental, exposés à l’EM, avaient 25% de plus de chance de retrouver un emploi que ceux du groupe-témoin.

Quels enseignements opérationnels retirer des ces études ?

Cette dernière étude met en avant plusieurs recommandations pour faciliter l’adoption de l’EM en insertion professionnelle.

Pour commencer, deux à trois jours de formation suffisent pour maîtriser l’EM, pourvu qu’un expert accompagne les conseillers a posteriori. Dans l’étude, les chercheurs codaient un entretien de chaque conseiller par semaine et leur fournissaient un retour immédiat.

Ensuite, le nombre d’entretiens doit être adapté à la motivation du bénéficiaire. Pour cela, l’équipe de Britt a classé les bénéficiaires en 4 catégories de motivation (de “ne voit pas l’intérêt de rechercher un emploi” à “effectue des démarches actives de recherche”). Les entretiens motivationnels étaient plus nombreux pour les catégories les moins motivées.

Enfin, les conseillers doivent travailler avec leur hiérarchie d’une part, les formateurs à l’EM et des experts en gestion du changement d’autre part, afin d’adapter l’organisation à l’EM. Car souvent l’EM contredit les habitudes des services de l’emploi. Conflits entre l’attitude empathique prônée par l’EM et le contrôle des allocations de chômage par les conseillers, espacement des rendez-vous qui fait perdre le contexte et manque de temps pour l’EM en sont des exemples.

Pour aller plus loin

En conclusion, l’EM paraît efficace pour aider les bénéficiaires des services à l’emploi à trouver plus souvent du travail. Diffuser l’EM pour les accompagner pourrait donc augmenter la productivité des services sociaux.

Cependant, beaucoup reste encore à découvrir, en particulier sur la manière d’adapter cette technique aux organisations existantes. Cela justifie la poursuite de la recherche dans ce domaine.

En attendant, si vous désirez en savoir plus sur l’EM et vous y former, rejoignez pour une modique cotisation l’Association Française de Diffusion de l’Entretien Motivationnel (AFDEM). C’est ici.

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L’entretien motivationnel et le mentorat en insertion professionnelle

L’entretien motivationnel est une approche prometteuse accompagner les jeunes éloignés de l’emploi

Dans un article précédent, nous avons présenté l’entretien motivationnel (EM). Il s’agit d’un style de communication collaboratif destiné à aider une personne à adopter un nouveau comportement.

Dans ce billet, nous nous intéresserons à son utilisation dans le mentorat d’insertion professionnelle et à la façon de le mettre en œuvre concrètement.

Pourquoi UTILISER l’EM en orientation PROFESSIONNELLE ?

Se lancer dans une démarche d’insertion professionnelle demande de la motivation. Il faut se fixer des objectifs. Il faut aussi se persuader qu’on possède les compétences spécifiques au métier désiré, ou qu’on peut les acquérir. Enfin, il est nécessaire de se convaincre que cette recherche a du sens par rapport à ses propres valeurs. Il faut aussi effectuer des actions parfois déplaisantes (comme convaincre un interlocuteur de sa valeur professionnelle). Ou parfois même anxiogènes (comme contacter de parfaits inconnus).

DES PREUVES EMPIRIQUES

Shékina Rochat, une spécialiste suisse de l’orientation professionnelle, l’affirme : “l’EM permet d’amplifier les objectifs de la personne et les croyances qu’elle peut influencer son destin et gérer ses émotions”.

Cependant, à la différence de la santé, la recherche scientifique sur l’EM en insertion professionnelle est encore balbutiante. Les études de qualité méthodologique et avec des résultats convergents sont encore insuffisantes.

Néanmoins une étude récente menée par la psychologue néo-zélandaise Eileen Britt ouvre des perspectives. Elle a montré que des conseillers d’insertion bien formés à l’EM influençaient le langage de leurs bénéficiaires. Celui en faveur de la recherche augmentait très significativement par rapport à celui de l’inertie. Or, un tel pattern permet de prédire un changement effectif dans le comportement.

D’ailleurs, selon le chercheur Brad Lundahl, “pratiquement chaque fois que l’EM a été testé empiriquement dans de nouveaux domaines (par exemple, la promotion de la santé), il a montré des effets positifs et significatifs. Ainsi, nous n’avons probablement pas encore trouvé les limites des types de problèmes et de symptômes auxquels l’EM peut être valablement appliqué”.

Comment se déroule l’EM dans le contexte de l’orientation professionnelle

L’accompagnement entre mentor et mentoré peut être structuré selon les quatre phases de l’EM:

  1. Engagement dans la relation :

Un mentorat réussi, comme toute forme de collaboration, commence par l’établissement d’une relation de confiance entre le mentor et le mentoré. A ce titre, trois postures peuvent nuire à la création de ce lien : celle de l’expert qui conseille, celle de l’inquisiteur qui enferme la discussion dans un feu de questions/réponses et celle du magistrat qui juge. Ces trois attitudes suscitent peu ou prou de la résistance de la part du jeune.

Au contraire, pour bâtir une relation empathique, il est préférable d’adopter un comportement centré sur le jeune. Pour cela, il faut lui poser des questions avec parcimonie et, en tout cas, ouvertes. Refléter son discours montre qu’on est à l’écoute. Il est utile également de valoriser sincèrement ses actions et de suspendre son jugement.

  1. Focalisation :

Dans cette phase, le mentoré choisit, avec son mentor, une direction précise de changement.

Parfois, il existe plusieurs alternatives pour s’orienter (par ex. trouver un stage, rechercher un logement, trouver un moyen de garder son enfant). Dans ce cas, le mentor établit, de manière collaborative avec le mentoré, la liste des options. Il l’amène à prioriser ce qu’il souhaiterait faire en premier.

S’il n’y a pas d’option qui émerge clairement, il faut évoquer les préférences du mentoré vers un futur désirable.

  1. Evoquer l’ambivalence et la résoudre :

Une fois l’objectif choisi, l’évocation consiste à faire émerger les propres motivations du jeune vers cet objectif. Ce “discours changement”, pour reprendre la terminologie EM, se manifeste par des mots exprimant le désir (“j’aimerais…”), une compétence (“je me sens capable de…”), une raison (“je voudrais parce que…”) ou un besoin (“j’ai vraiment besoin de…”). Le discours-changement, en revanche, s’oppose à l’objectif. L’entretien motivationnel consiste à amplifier le discours changement et à affaiblir le discours maintien.

De multiples stratégies permettent de susciter le discours-changement. Par exemple, le mentor peut aider le jeune à identifier ses valeurs clés (indépendance financière, autonomie, etc.) et à mettre ainsi en évidence les écarts entre ces valeurs et sa situation actuelle. Une autre stratégie est de l’encourager à imaginer le futur selon qu’il s’engage dans le choix professionnel qu’il a en tête ou qu’il reste dans le statu quo. Ou de lui faire décrire le pire et le meilleur scénario possible pouvant survenir à partir de la situation actuelle de manière à accroître ses aspirations liées à la carrière.

  1. Passer à l’action

Une fois que le discours-changement atteint un niveau satisfaisant par rapport au discours-maintien, le jeune est mûr pour passer à l’action. Il est prêt à formuler un plan d’action précis, comme par exemple, “téléphoner à 6 personnes de mon réseau pour tester mon projet professionnel”. A cette occasion, le mentor peut approfondir cet engagement en lui posant des questions ouvertes comme, par exemple : “Cette initiative est intéressante. Pourriez-vous m’en dire plus ?”

POUR CONCLURE PROVISOIREMENT

Les preuves commencent à s’accumuler qui démontrent l’efficacité de l’EM dans le domaine de l’insertion professionnelle. L’EM est un outil puissant pour résoudre l’ambivalence inhérente aux choix d’orientation professionnelle. C’est la raison pour laquelle nous nous proposons de l’employer systématiquement dans les entretiens entre mentor et mentoré. Nous ne manquerons pas de tirer les leçons de son utilisation dans un futur billet.

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Le mentorat en insertion professionnelle

Le mentorat d’insertion professionnelle permet à des jeunes éloignés de l’emploi de surmonter les obstacles en travers de leur projet professionnel

Elle a 20 ans à peine et elle est déjà l’heureuse maman d’une petite fille d’un an. En revanche, son métier de coiffeuse ne satisfait plus Sarah. A la place, elle se verrait bien travailler dans une maternité comme auxiliaire de puériculture (AP). Le mentorat est là pour l’aider à transformer ce rêve en réalité. Dans cet article, nous allons parler de son rôle dans le domaine de l’insertion professionnelle.

Mentorat et insertion PROFESSIONNELLE : la théorie

En France, il faut six générations pour qu’une famille pauvre atteigne le revenu moyen contre 4,5 pour la moyenne des pays riches de l’OCDE. En effet, la catégorie socio-professionnelle des parents détermine en grande partie l’avenir des jeunes les plus défavorisés. Ceux-ci disposent de moins d’information sur leurs options d’orientation et s’autocensurent au moment de faire des choix. De ce fait, les plus fragiles arrivent désarmés sur le marché du travail et sont les premières victimes du chômage.

C’est le cas de Sarah. Elle a quitté le collège pour un CAP de coiffure qu’elle a obtenu au forceps. Pourtant, elle aspire depuis son enfance à travailler dans le soin, même si elle a dû en rabattre de sa prétention à devenir médecin.

En principe, ces jeunes bénéficient d’un accompagnement dans leur projet professionnel de la part des missions locales et de Pôle Emploi. Il consiste en premier lieu à les orienter vers le dispositif qui corresponde à leur besoin (contrats jeunes pour l’emploi, alternance, formation,…). Puis à les former aux techniques de recherche d’emploi (cv, entretiens, recherche de stage,…)

En complément de cet accompagnement, si le jeune le désire, un mentor lui est attribué. Concrètement, ce dernier fait bénéficier le jeune de ses conseils professionnels. Il est supposé apporter son expérience du monde du travail au jeune mentoré pour lui permettre de trouver un emploi pérenne à terme. Le mentorat est destiné à redonner confiance aux jeunes, lutter contre son auto-censure et élargir son champ des possibles.

Cela, c’est la théorie. Masi qu’en est-il dans la pratique ?

Le rôle du mentor en pratique

Revenons au cas de Sarah. Sa demande initiale était claire et parfaitement en ligne avec la mission du mentor. Elle voulait trouver un stage de découverte du métier d’AP dans une maternité. Ainsi elle pourrait conforter sa décision avant de se lancer dans un nouveau cycle de formation.

Pour l’aider, son mentor a d’abord mis à disposition son réseau en lui fournissant le contact d’une AP de métier. Une rencontre avec Sarah, pensait-il, lui permettrait de mieux connaître grandeurs et servitudes de ce métier et de continuer à réseauter jusqu’à trouver le stage convoité

Or, rapidement, Sarah a fait état de difficultés personnelles l’empêchant d’avancer. En effet, face à de médiocres conditions de logement, elle a dû déménager chez sa sœur, laissant son projet professionnel en plan. Elle s’est alors mise à chercher en priorité un nouveau logement. D’abord dans le privé, mais le coût d’une location excédait son budget. Puis dans le public, mais elle n’était pas prioritaire.

Elle a sollicité la mission locale qui n’a pu davantage l’aider. Sa conseillère était surchargée face à l’accélération du dispositif « garantie jeunes ». Sarah n’était d’ailleurs pas prioritaire pour cette assistance, car elle bénéficiait déjà du RSA du fait de son enfant.

Dans ce contexte, que pouvait faire le mentor? Il aurait pu en rester à sa mission d’origine, à savoir accompagner le projet professionnel de sa mentorée et attendre, pour cela, qu’elle ait résolu son problème de logement. Face au manque d’assistance de la part de la mission locale, il a décidé de l’aider à surmonter aussi cette difficulté personnelle qui l’empêchait d’aller au bout de son nouveau projet professionnel.

EN CONCLUSION

Certes, beaucoup de jeunes éloignés de l’emploi ont la chance de disposer d’un conseiller en mission locale qui les aide à résoudre leurs problèmes personnels. Pour d’autres qui ne bénéficient pas de cette aide, comme Sarah, le mentorat peut faire office de substitut.

C’est un moyen peu coûteux de les remettre sur des rails pour réaliser leurs ambitions professionnelles. Et leur donner l’occasion de découvrir leurs propres ressources et de devenir autonome. Pour ceux-là, le mentorat doit être plus qu’une simple expertise professionnelle. Il doit se donner l’objectif de permettre au mentoré de surmonter les difficultés qui se dressent sur son parcours professionnel.

Dans un prochain billet, nous verrons comment l’approche motivationnelle peut servir une telle mission élargie du mentorat.

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Comment aider les gens à changer ?

L’entretien motivationnel est un mode de communication conçu pour surmonter la réticence face au changement

Le pharmacien prend son courage à deux mains: « Madame Legal, si vous en êtes d’accord, j’aimerais parler de la vaccination contre le covid avec vous ». « Oh vous savez, on m’a dit que ce n’était pas bon à cause de mes problèmes cardiaques ». Malgré cette entrée en matière difficile, il parviendra à modifier le point de vue de sa cliente. Pour cela, il utilisera une démarche à laquelle il vient de se former: l’entretien motivationnel.

L’entretien motivationnel, plutôt qu’une technique, est un mode de communication entre deux personnes, l’un le « client » qui bénéficie de l’intervention, l’autre l « intervenant » qui anime le dialogue. Il permet de surmonter la réticence du client face à un changement rendu nécessaire par une situation problématique, comme ici la vaccination contre le covid.

UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA MÉTHODE

Le précurseur de l’entretien motivationnel est le psychologue américain Carl Rogers (1902-1987). Il est le père de l’approche centrée sur la personne. Elle postule que le client possède les ressources pour se sortir de ses problèmes. Il sait ce qui est le mieux pour lui et comment il doit conduire sa vie. De fait, l’intervenant n’est ni un expert, ni un conseiller, mais un accompagnant. Il aide le client à élaborer, à explorer et à réfléchir. Il ne porte pas de jugement, ni négatif, ni positif, sur les orientations que va prendre le client.

William Miller (né en 1947), dans la lignée de Rogers, est l’inventeur de l’entretien motivationnel. Dans sa pratique de médecin addictologue, il a constaté que les intervenants les plus empathiques étaient ceux dont les patients diminuaient le plus leur consommation d’alcool. Il remarqua que les problèmes auxquels font fassent les patients sont liés à des choix où il y a toujours une alternative: changer ou maintenir le statu quo. Face à ce choix, ils sont ambivalents.

Il a montré que la probabilité qu’un client change était corrélée à la fréquence, dans son discours, d’expressions manifestant le changement, comme par exemple « j’ai l’intention de », « je souhaiterais ». Il a donc complété l’approche non-directive de Rogers en édictant quelques principes destinés à augmenter l’apparition des mots du changement chez les clients.

PRINCIPES DE L’ENTRETIEN MOTIVATIONNEL

Pour Miller, deux facteurs principaux motivent un client à changer. D’une part, la valeur qu’il attache à ce changement, son importance. Et d’autre part, la confiance qu’il a en sa capacité d’accomplir ce changement. En cela, Miller s’est appuyé sur les travaux d’Albert Bandura démontrant que la confiance prédisait la mise en acte réussie d’une modification du comportement.

Afin d’évoquer l’importance du changement et de susciter la confiance chez le client, l’intervenant doit développer des capacités d’empathie. Elles lui permettront d’entrer en résonance avec le client sans être submergé par l’émotion. L’écoute non directive est l’instrument clé pour manifester cette empathie.

Client et intervenants sont des partenaires: le client apporte l’expertise de lui-même, tandis que l’intervenant apporte une expertise de la problématique du client.

L’intervenant ne fournit pas de jugement, ni de conseils, mais des informations destinées à éclairer la décision du patient.

DES OUTILS POUR SUSCITER LE DISCOURS-CHANGEMENT

Au fil du temps, Miller et ses émules ont codifié de nombreux instruments pour faciliter la communication entre le client et l’intervenant. Les plus utilisés sont rassemblés dans l’acronyme OuVERD:

  • Poser des questions Ouvertes. A la différence des questions fermées auxquelles on répond par oui ou par non, elles permettent au client de développer sa réponse. Par exemple “Comment pourriez-vous vous y prendre pour y arriver ?”,  ou bien “Et maintenant, que pensez-vous faire ?”
  • Valoriser les forces, les valeurs et les efforts du client. La valorisation augmente la confiance en soi du client. Il ne s’agit pas de le féliciter, mais de relever, dans son récit, des éléments objectifs qui montrent ses valeurs, de lui rappeler ses réussites et ses points forts
  • Ecouter en reflet pour vérifier qu’il a bien compris le client. Les reflets peuvent être simples, en répétant ce qui vient d’être dit, double, en reflétant deux assertions qui semblent se contredire, exagéré, en amplifiant volontairement le reflet ou hypothétique, en émettant une supposition qui complète la parole de la personne. Ces reflets ont pour but de permettre à la conversation de se développer et d’explorer toutes les facettes de l’ambivalence, en suscitant un discours-changement
  • Résumer de temps en temps, pour rappeler le discours-changement exprimé par le client
  • Donner de l’information en demandant la permission au client et à condition que cela corresponde à un besoin.
 DES APPLICATIONS DANS DE NOMBREUX DOMAINES

A l’origine, l’addictologie fut le premier domaine d’intervention de l’entretien motivationnel. Depuis lors, de nombreux champs l’utilise, en particulier:

  • Médical, dans le cadre de l’éducation thérapeutique, du traitement des maladies chroniques et de la diététique
  • Social, notamment dans un contexte de prévention (réduction des violences conjugales ou du risque sexuel)
  • Éducation, pour l’accompagnement des élèves en difficulté ou le mentorat dans la formation
  • Judiciaire, pour accompagner la réinsertion après un parcours carcéral
  • Insertion professionnelle, pour l’accompagnement des chômeurs

Cette méthode est particulièrement efficace avec de jeunes clients. Elle se pratique également en groupe. Elle continue à être évaluée et améliorée au travers de nombreux essais cliniques.

POUR ALLER PLUS LOIN

L’entretien motivationnel est une démarche qui allie humanisme et efficacité. L’association francophone de développement de l’entretien motivationnel (AFDEM) organise régulièrement des formations à sa pratique, depuis le niveau le plus basique jusqu’à la supervision (lien). Alors qu’attendez-vous pour vous inscrire?

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AVARAP : une méthode efficace pour les cadres en rebond professionnel

Créée il y a presque 40 ans, l’AVARAP accompagne les évolutions professionnelles grâce à une méthode de groupe originale

Les enquêtes montrent qu’accompagner des demandeurs d’emploi leur permet de trouver une situation. Ils peuvent ainsi acquérir des compétences (par ex. le réseau) très utiles dans la recherche d’emploi.

Formé à la méthode d’accompagnement de l’association AVARAP, j’ai eu l’occasion de la pratiquer pendant 18 mois. L’objectif de ce billet est de décrire les éléments saillants de cette méthode, ainsi que ses avantages et inconvénients.

Qu’est-ce que l’AVARAP?

L’AVARAP est une association reconnue d’utilité publique, apolitique et non confessionnelle. Son indépendance est garantie par un financement venant des cotisations des adhérents ainsi que des versements des cadres accompagnés.

Un groupe de chômeurs a créé l’association en 1984. Depuis lors, elle accompagne les cadres dans la construction d’un nouveau projet professionnel. Depuis sa création, plus de 20.000 personnes ont bénéficié de cet accompagnement.

la méthode AVARAP

Au cours des six à sept mois que dure l’accompagnement, les participants effectuent un bilan approfondi de leurs compétences. Ils construisent ensuite un projet professionnel adapté à ces compétences, à leurs goûts et au marché. Enfin, ils conçoivent et mettent en œuvre un plan d’action détaillé.

L’originalité de la méthode réside dans la dynamique de groupe insufflée pour mettre en mouvement les participants. Chacun d’eux est, en effet, intégré dans un groupe de 12 à 15 personnes, à la diversité soigneusement dosée. Un facilitateur anime le groupe, qui se réunit trois heures toutes les semaines pendant la durée de l’accompagnement. En parallèle, un travail individuel et des exercices en ateliers s’ajoutent aux réunions hebdomadaires du groupe.

LES AVANTAGES de la methode

La méthode AVARAP présente plusieurs avantages par rapport à d’autres approches d’accompagnement. Elle est peu coûteuse pour ses bénéficiaires : quelques centaines d’euros contre plusieurs milliers d’euros pour un outplacement classique. Elle est aussi économe en temps passé par l’animateur. J’ai personnellement consacré environ 25 jours de travail pour un groupe de 12 personnes. Cela représente environ 2 jours par personne répartis sur 4 mois. L’accompagnement peut se dispenser à distance comme en présence. En outre, l’association investit dans la formation des animateurs, leur procurant 8 journées de training.

Enfin, elle est excellente pour renforcer la confiance en soi des participants pour qu’ils se mettent en mouvement vers leur avenir professionnel. Il n’est donc pas surprenant que le taux de satisfaction soit très élevé, avec 95% des personnes satisfaites de l’accompagnement. Environ 70% des participants trouvent une solution à leur problème professionnel.

LES PISTES D’AMÉLIORATION

Toutefois, ces bénéfices s’accompagnent de certains inconvénients. La méthode, tout d’abord, s’adresse à des personnes ayant de bonnes capacités cognitives et sociales. Ce sont, par exemple, l’esprit de synthèse, l’aptitude à prendre du recul sur son parcours ou la bienveillance. Même si le groupe sert à catalyser ces compétences, certains participants se sont trouvés incapables de suivre la méthode.

Ensuite, elle est très exigeante puisqu’elle impose une réunion fixe de 3 heures par semaine, le soir, 4 samedis sur la période d’accompagnement, du travail individuel et collectif avec des ateliers. Cela demande un investissement de l’ordre de 20% du temps. Si cela reste raisonnable pour un cadre hors-poste, c’est plus difficile pour une personne en activité. A ce titre, la méthode mériterait d’être évaluée objectivement, en particulier pour en déterminer les composants actifs.

Enfin, le format très rigide peut aussi rebuter les animateurs, car il leur laisse très peu de latitude. Ce manque de souplesse peut causer la désaffection des animateurs après quelques interventions.

pour aller plus loin

La méthode AVARAP a fait ses preuves en presque 40 ans d’existence. Elle accompagne efficacement les cadres en rebond professionnel grâce à une approche originale basée sur la dynamique de groupe.

Elle pourrait accroître son utilité en évoluant. L’accès à des publics moins “cortiqués” et plus de souplesse quant à la participation seraient des voies à explorer. A condition, bien sûr, que la qualité n’en soit pas affectée. En cela, elle pourrait alors s’adapter à notre époque et toucher un plus large public.