Et si la clé pour aider un jeune à trouver sa voie professionnelle résidait dans l’écoute active et la motivation plutôt que dans les conseils directifs ?
Initialement développé dans le champ de la santé pour le traitement des addictions par William R. Miller et Stephen Rollnick, l’entretien motivationnel (EM) a démontré son efficacité dans de nombreux domaines d’accompagnement. En effet, son adoption croissante s’explique par sa capacité unique à générer ce qu’on appelle le « discours-changement ». Il s’agit des arguments exprimés spontanément par la personne elle-même en faveur d’une transformation.
Contrairement aux approches traditionnelles souvent directives, l’EM repose sur un principe fondamental : c’est lorsque la personne formule elle-même ses raisons de changer qu’elle est le plus susceptible de passer à l’action. De ce fait, cette méthode transforme radicalement la relation d’accompagnement, faisant du mentor non plus un prescripteur de solutions mais un facilitateur de prise de conscience.
Par ailleurs, plusieurs études longitudinales ont mesuré l’impact de cette approche. Plus précisément, dans le domaine de la santé, où elle est appliquée depuis plus de 30 ans, les résultats montrent une amélioration significative de l’observance thérapeutique et des changements de comportement durables. Par conséquent, ces succès ont naturellement conduit à son adaptation dans le champ de l’insertion professionnelle, avec des résultats tout aussi prometteurs.
Pourquoi l’EM est-il particulièrement adapté à l’accompagnement vers l’emploi ?
La recherche d’emploi ou de formation constitue un parcours semé d’embûches psychologiques souvent sous-estimées. En réalité, de nombreux jeunes en insertion doivent simultanément faire face à des défis multiples : manque de confiance en soi, peur du rejet, sentiment d’illégitimité, ou encore difficulté à se projeter dans un avenir professionnel désirable. C’est pourquoi les approches purement techniques (rédaction de CV, préparation aux entretiens) montrent parfois leurs limites.
Dans ce contexte, l’EM apporte une réponse à ces défis en s’attaquant aux racines mêmes de la motivation. En premier lieu, il permet de dépasser l’ambivalence naturelle face au changement. Ensuite, il aide la personne à connecter ses aspirations professionnelles avec ses valeurs profondes. Enfin, il transforme la perception des obstacles en défis surmontables.
Pour illustrer cela, les recherches menées par Eileen Britt en Nouvelle-Zélande ont démontré l’efficacité concrète de cette approche. Concrètement, sur un échantillon significatif de demandeurs d’emploi, ceux bénéficiant d’un accompagnement en EM ont montré non seulement une plus grande persévérance dans leur recherche, mais surtout un taux de retour à l’emploi supérieur de 25% par rapport aux méthodes traditionnelles.
Les fondements scientifiques de l’efficacité de l’EM
La puissance de l’EM repose sur des bases scientifiques solides. En effet, la psychologie motivationnelle a identifié plusieurs mécanismes clés que cette approche active de manière particulièrement efficace.
Premièrement, l’effet de dissonance cognitive : Lorsqu’une personne perçoit un écart entre ses valeurs et ses actions, elle éprouve un inconfort psychologique qui peut devenir un puissant moteur de changement. Ainsi, l’EM amplifie délibérément cette prise de conscience.
Deuxièmement, l’auto-persuasion : Comme le soulignent les recherches, les arguments que nous formulons nous-mêmes ont beaucoup plus de poids que ceux qui nous sont imposés. D’ailleurs, comme l’écrivait Pascal : « On se persuade mieux, pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres ». En réalité, c’est tout l’art de l’EM que de faire émerger ces arguments personnels.
Enfin, la théorie de l’autodétermination : cette approche démontre clairement que la motivation intrinsèque (faire les choses par intérêt personnel) est bien plus puissante que la motivation extrinsèque (faire les choses pour obtenir une récompense ou éviter une punition). Par conséquent, l’EM capitalise sur ce principe fondamental.
Mettre en œuvre l’EM en insertion professionnelle : une démarche rigoureuse en quatre phases
Tout d’abord, établir une alliance de qualité
Au démarrage de la relation, cette phase cruciale consiste à créer un climat de sécurité psychologique où le jeune se sent écouté sans jugement. Concrètement, le mentor adopte une posture d’ouverture, manifestant une curiosité authentique pour le vécu et les perspectives de la personne. Il est essentiel de noter qu’il évite soigneusement les pièges classiques : donner des conseils prématurés, minimiser les difficultés ou imposer son propre agenda.
Pour y parvenir, des techniques spécifiques favorisent cet engagement. Il s’agit notamment de la reformulation en miroir (« Si je comprends bien, tu te sens… »), mais aussi les questions ouvertes (« Qu’est-ce qui est important pour toi dans un travail ? »). Sans oublier la valorisation des efforts (« Tu as montré beaucoup de détermination dans ta recherche d’une alternance ») et enfin, les résumés (« Pour résumer, tu as l’intention de rechercher un emploi dans le marketing digital… »)
Ensuite, clarifier les objectifs et les priorités
Fréquemment, beaucoup de jeunes en insertion sont confrontés à une multitude de défis entremêlés. Face à cette complexité, le rôle du mentor est d’aider à mettre de l’ordre dans ces préoccupations pour identifier un objectif mobilisateur.
Pour ce faire, cette phase peut s’appuyer sur, d’une part, la technique de l’éventail (« Parmi toutes ces préoccupations, laquelle te semble la plus urgente à régler ? »). Et d’autre part, la projection positive (« Si un problème était résolu, lequel aurait le plus d’impact positif ? »)
Puis, faire émerger et amplifier le discours-changement
Soulignons que c’est le cœur stratégique de l’EM. Effectivement, le mentor utilise diverses techniques pour aider le jeune à formuler ses propres motivations au changement. Plus précisément, plus ce « discours-changement » est riche et personnel, plus les chances de passage à l’action sont élevées. C’est pourquoi cette étape demande une attention particulière
Parmi les outils les plus efficaces :
- La projection dans le futur :
« Imagine que nous nous retrouvons dans 5 ans et que tout s’est merveilleusement bien passé. Qu’est-ce qui serait différent dans ta vie professionnelle ? »
- L’échelle de motivation :
« Sur une échelle de 0 à 10, à quel point es-tu motivé pour suivre cette formation ? Pourquoi as-tu mis 6 et pas 4 ? Qu’est-ce qui te ferait passer à 7 ? » - L’exploration des valeurs :
« Qu’est-ce qui est vraiment important pour toi dans la vie ? Comment ton projet professionnel s’aligne-t-il avec ces valeurs ? » - Le bilan décisionnel :
« Quels seraient les avantages à te lancer dans cette formation ? Quels pourraient être les inconvénients ? Et si tu ne faisais rien, quelles en seraient les conséquences ? »
Enfin, consolider l’engagement et planifier l’action
Lorsque le discours-changement atteint une intensité suffisante, le mentor aide le jeune à traduire cette motivation en plan d’action concret. Cette phase combine plusieurs éléments clés :
- La formulation d’un engagement clair : « Qu’est-ce que tu décides de faire, concrètement ? »
- L’anticipation des obstacles : « Qu’est-ce qui pourrait t’empêcher de réaliser cette action ? Comment pourrais-tu contourner ces difficultés ? »
- La planification détaillée : « Quand exactement vas-tu faire cette démarche ? De quels ressources as-tu besoin ? »
Cas pratique : le parcours de transformation de Karim
Karim, 24 ans, bénéficiaire du contrat d’engagement jeunes, consulte sa conseillère en mission locale. Son discours initial est marqué par la résignation : « De toute façon, avec mon parcours, personne ne veut me donner ma chance. »
Plutôt que de contredire directement cette croyance, la conseillère formée à l’EM engage la conversation différemment :
« Karim, dis-moi, s’il existait un emploi parfait pour toi, à quoi ressemblerait-il ? »
Peu à peu, Karim évoque son intérêt pour le travail manuel et son plaisir à « réparer des objets ». La conseillère amplifie ce discours-changement : « Tu as donc déjà une idée assez précise de ce qui te plairait. Et quand tu réussis à réparer quelque chose, qu’est-ce que ça te fait ? »
Au fil des entretiens, Karim prend conscience que son projet de devenir réparateur d’électroménager correspond à ses valeurs d’autonomie et d’utilité sociale. Il formule lui-même l’idée de suivre une formation en alternance. Un an plus tard, non seulement il a obtenu son diplôme, mais il a créé sa petite entreprise de dépannage.
Les pièges à éviter dans la pratique de l’EM
Si l’EM est puissant, sa mise en œuvre requiert une vigilance constante. Certains écueils guettent les praticiens :
- Le syndrome de l’expert : La tentation de donner des solutions toutes faites est forte, surtout face à l’urgence sociale. Mais c’est précisément cette posture qui réduit l’efficacité de l’accompagnement.
- La focalisation excessive sur les freins : Explorer les difficultés est nécessaire, mais sans systématiquement chercher à les résoudre à la place de la personne. « Au fond du trou, il vaut mieux montrer l’échelle que la pelle » est une des devises de l’Association Francophone pour le Développement de l’Entretien Motivationnel (AFDEM).
- L’impatience : Le rythme du changement appartient au jeune. Respecter ce tempo est essentiel, même lorsqu’il semble trop lent aux yeux du professionnel.
- La négligence du contexte : Les obstacles matériels (transport, garde d’enfants) doivent être pris en compte sans pour autant servir de prétexte à l’inaction.
Formation et mise en pratique : comment devenir un mentor efficace en EM
Adopter pleinement l’EM nécessite un apprentissage spécifique. Plusieurs éléments sont indispensables :
- Une formation initiale solide : Comprendre les principes théoriques et s’exercer aux techniques de base requiert au minimum 2-3 jours de formation. A ce titre, l’AFDEM organise des formations de base et avancées qui s’adressent à tous les publics.
- Une supervision régulière : L’analyse de pratique entre pairs ou avec un expert permet d’affiner sa posture et de corriger les dérives naturelles.
- Des outils d’évaluation : Enregistrer (avec accord) des séances pour les analyser, utiliser des grilles d’observation du discours-changement.
- Un ajustement organisationnel : Les structures d’insertion doivent adapter leurs modalités d’accompagnement (durée et fréquence des entretiens) pour permettre une véritable pratique de l’EM.
Conclusion : vers une nouvelle culture de l’accompagnement
L’entretien motivationnel représente bien plus qu’une simple boîte à outils techniques. Il incarne une philosophie de l’accompagnement qui redonne toute sa place à l’autonomie et à la dignité des personnes. Dans un contexte où les approches purement gestionnaires montrent leurs limites, l’EM offre une alternative à la fois humaine et efficace.
Les professionnels qui adoptent cette posture témoignent souvent d’une transformation profonde de leur pratique. Cela se traduit par moins d’épuisement, plus de satisfaction, et surtout des résultats tangibles dans les parcours d’insertion.
Et vous, quelle expérience avez-vous de l’entretien motivationnel ? Partagez vos réussites et vos questionnements dans les commentaires.